Tate
Modern, London du 25 mai 2011 au 2 janvier 2012.
Ce
matin, je suis entrée dans un livre.
Tu
étais le héros, j’étais l’héroïne. C’est toi qui l’avais
décidé. On s’inventait une histoire. Une histoire qui se
construisait page après page, livre après livre. Mais ce matin, je
n’ai rien inventé. Je suis bel et bien entrée dans un livre. Je
veux dire, physiquement. Il était là, en face de moi. Je crois que
la couverture t’aurait plu. Simple, épurée, comme tu les aimais.
Une couverture qui nous ressemble. Je crois même qu’on aurait pu
la construire. Avant même d’y entrer, je regrettais que tu ne sois
plus là. J’allais enfin entrer dans un livre et tu n’étais pas
là. Notre histoire aurait pu devenir réelle. Le livre était là,
en face de nous. On aurait pu y entrer, tous les deux, main dans la
main. Cela aurait été merveilleux de se retrouver enfin, main dans
la main, dans un livre. Avant même d’y entrer, je regrettais de ne
pas avoir eu l’idée de t’écrire ce livre. Finalement, peut-être
que ce n’était pas plus mal que tu ne sois pas là. Cela m’aurait
fait peur que tu entres dans un livre écrit par une autre femme. Je
t’aurais tenu la main, et je t’aurais vu y entrer, le regarder,
et tout d’un coup nos livres te seraient parus insignifiants. Tu
aurais lâché ma main pour me montrer un détail, ou une
photographie qui te plaisaient et je t’aurais senti t’éloigner.
Non, je n’aurais pas pu le supporter. Je ne savais plus ce qui
était le plus terrible. Peut-être le fait que j’allais entrer
dans un livre, et que je ne pourrais jamais te le raconter. En
entrant, je me suis rendue compte que ta présence ne m’aurait pas
gênée. Ce livre ne nous ressemblait pas tant que ça finalement. Il
y avait dix-huit chapitres, deux de moins que le dernier que je
t’avais écrit. Et puis cela parlait de familles, de lignées, de
liens sanguins, de souvenirs, de vivants et de morts. Tout ce que tu
ne nous as pas laissé le temps de construire. Chaque famille
laissait deviner une absence, une disparition, un abandon par une
photographie vide. Mais je ne suis pas convaincue qu’il s’agissait
ici d’une page à écrire. Petit à petit, je me rendais compte que
cela me parlait de destin, du hasard d’une rencontre et de tout ce
qu’elle entraîne. Petit à petit, je me rendais compte que j’avais
mal. Ces vies, ces destins qui se croisent et qui créent des liens.
Ces personnes qui disparaissent et qui ne laissent derrière elles
qu’une page blanche. En arrivant devant le dernier chapitre, elle
était là. Cette femme dont j’avais si peur au début. Cette femme
à qui je n’avais maintenant qu’envie de demander d’écrire un
dernier chapitre. Notre chapitre. Construire, imaginer, inventer ce
qui aurait pu être notre lignée. La rendre réelle, elle aussi. Un
dix-neuvième chapitre qui aurait été le nôtre. Et puis, quelque
chose de tragique s’est produit. Un homme s’est avancé pour lui
poser une question. Il voulait savoir si elle avait pris la peine, à
chaque fois qu’une personne était absente, décédée, ou disparue
de prendre en photographie son absence. Ou bien, est ce qu’elle
avait tout simplement réutilisé la même photographie pour
représenter chacune de ces personnes. Elle a répondu qu’elle
avait pris le temps de le faire au début, mais que très vite elle
avait arrêté pour reprendre la même, par « flemme ».
Cela en a fait rire plus d’un. Mais moi, j’ai été terriblement
déçue. J’ai pensé à ta main qui aurait pu tenir la mienne et je
suis partie, laissant dernière moi un livre que nous n’aurions
jamais pu écrire.
Aurélie Poux
A
living man declared dead and other chapters.
Taryn
Simon at Tate Modern
©
Eleanor Famer
Excerpt from Chapter I. Image Courtesy of the Artist and Gagosian Gallery
Pour plus d’informations sur cette exposition:
http://www.tate.org.uk/modern/exhibitions/tarynsimon/default.shtm
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire