mercredi 9 mai 2012

A living man declared dead and other chapters, Taryn Simon.


Tate Modern, London du 25 mai 2011 au 2 janvier 2012.
Ce matin, je suis entrée dans un livre.
Tu étais le héros, j’étais l’héroïne. C’est toi qui l’avais décidé. On s’inventait une histoire. Une histoire qui se construisait page après page, livre après livre. Mais ce matin, je n’ai rien inventé. Je suis bel et bien entrée dans un livre. Je veux dire, physiquement. Il était là, en face de moi. Je crois que la couverture t’aurait plu. Simple, épurée, comme tu les aimais. Une couverture qui nous ressemble. Je crois même qu’on aurait pu la construire. Avant même d’y entrer, je regrettais que tu ne sois plus là. J’allais enfin entrer dans un livre et tu n’étais pas là. Notre histoire aurait pu devenir réelle. Le livre était là, en face de nous. On aurait pu y entrer, tous les deux, main dans la main. Cela aurait été merveilleux de se retrouver enfin, main dans la main, dans un livre. Avant même d’y entrer, je regrettais de ne pas avoir eu l’idée de t’écrire ce livre. Finalement, peut-être que ce n’était pas plus mal que tu ne sois pas là. Cela m’aurait fait peur que tu entres dans un livre écrit par une autre femme. Je t’aurais tenu la main, et je t’aurais vu y entrer, le regarder, et tout d’un coup nos livres te seraient parus insignifiants. Tu aurais lâché ma main pour me montrer un détail, ou une photographie qui te plaisaient et je t’aurais senti t’éloigner. Non, je n’aurais pas pu le supporter. Je ne savais plus ce qui était le plus terrible. Peut-être le fait que j’allais entrer dans un livre, et que je ne pourrais jamais te le raconter. En entrant, je me suis rendue compte que ta présence ne m’aurait pas gênée. Ce livre ne nous ressemblait pas tant que ça finalement. Il y avait dix-huit chapitres, deux de moins que le dernier que je t’avais écrit. Et puis cela parlait de familles, de lignées, de liens sanguins, de souvenirs, de vivants et de morts. Tout ce que tu ne nous as pas laissé le temps de construire. Chaque famille laissait deviner une absence, une disparition, un abandon par une photographie vide. Mais je ne suis pas convaincue qu’il s’agissait ici d’une page à écrire. Petit à petit, je me rendais compte que cela me parlait de destin, du hasard d’une rencontre et de tout ce qu’elle entraîne. Petit à petit, je me rendais compte que j’avais mal. Ces vies, ces destins qui se croisent et qui créent des liens. Ces personnes qui disparaissent et qui ne laissent derrière elles qu’une page blanche. En arrivant devant le dernier chapitre, elle était là. Cette femme dont j’avais si peur au début. Cette femme à qui je n’avais maintenant qu’envie de demander d’écrire un dernier chapitre. Notre chapitre. Construire, imaginer, inventer ce qui aurait pu être notre lignée. La rendre réelle, elle aussi. Un dix-neuvième chapitre qui aurait été le nôtre. Et puis, quelque chose de tragique s’est produit. Un homme s’est avancé pour lui poser une question. Il voulait savoir si elle avait pris la peine, à chaque fois qu’une personne était absente, décédée, ou disparue de prendre en photographie son absence. Ou bien, est ce qu’elle avait tout simplement réutilisé la même photographie pour représenter chacune de ces personnes. Elle a répondu qu’elle avait pris le temps de le faire au début, mais que très vite elle avait arrêté pour reprendre la même, par « flemme ». Cela en a fait rire plus d’un. Mais moi, j’ai été terriblement déçue. J’ai pensé à ta main qui aurait pu tenir la mienne et je suis partie, laissant dernière moi un livre que nous n’aurions jamais pu écrire.
Aurélie Poux

A living man declared dead and other chapters. 

Taryn Simon at Tate Modern
© Eleanor Famer

Excerpt from Chapter I. Image Courtesy of the Artist and Gagosian Gallery 

Pour plus d’informations sur cette exposition: http://www.tate.org.uk/modern/exhibitions/tarynsimon/default.shtm







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